Yalek, c'était déjà lui.
Les Casseurs, c'est lui aussi.
Alain Chevallier, c'est toujours lui. «Lui», c'est Christian Denayer,
dessinateur de B.D. et... Wavrien. La sortie toute récente, aux éditions du
Lombard, du nouvel album des aventures d'Alain Chevallier, Pole position, est
pour nous l'occasion rêvée de mener une...
INTERVIEW SUR LES CHAPEAUX DE ROUES AVEC
CHRISTIAN DENAYER
Septembre 19. . : un petit Christian voit le jour.
Septembre 1962 : le grand Christian se lance professionnellement dans la bande
dessinée.
Entre les deux, une vocation contrariée par... la politique
J'avais entamé des études d'enseignant que je n'ai jamais menées à terme
parce que je voulais absolument enseigner aux petits Noirs du Congo belge. Et
ça, je suis persuadé que c'était à cause de Tintin au Congo que j'avais lu
étant gamin... Je trouvais ça absolument merveilleux et je m'étais dit que
j'allais faire la même chose. Au début des années '60 (des années que
Christian, entre la baie des Cochons et mai '68, ne trouve pas si «golden» que
ça...), quand la Belgique a perdu sa colonie, je me suis dit: «Puisque la
Belgique n'a plus de colonie, ça ne m'intéresse plus !» J'ai complètement
abandonné l'idée de donner cours à des Noirs et j'ai arrêté mes études. Et
c'est marrant parce que je suis revenu par la bande dans le milieu des
enseignants, puisque j'ai donné des exposés sur la B.D. dans les écoles...
PRIVILEGIER LE CONTACT AVEC LE LECTEUR
Expliquer des choses aux gosses et rencontrer les lecteurs. Rien ne vaut cela
aux yeux de Christian Denayer. D'ailleurs, dans les écoles où il a fait des
exposés... Les gosses étaient subjugués par ce que j'avais à raconter. A tel
point qu'ils ne voulaient pas aller en récréation ! Marrant; émouvant aussi.
Mais ça me prenait trop de temps et j'ai dû arrêter. C'est dommage parce que
cela me faisait plaisir d'avoir un contact direct avec les jeunes, ce que je
n'ai pas quand je travaille. C'est pour cela aussi que j'aime bien les séances
de dédicaces : le contact avec le lecteur. L'occasion de discuter un peu. Pour
moi, c'est un moment privilégié. Fatigant aussi, parce que c'est crevant de
faire une séance de dédicaces. Mais c'est l'occasion de parler avec les gens.
Comme lors de la dernière Foire commerciale de Wavre, au cours de laquelle
Christian Denayer était l'un des invités du stand Vlan Brabant wallon.
D'ailleurs, continue-t-il, quand on crée une B.D., Duchâteau et moi, on la
fait d'abord pour nous. Mais il s'avère qne nos goûts correspondent à ceux
d'une partie du public. Et de plus en plus : les séries continuent et les
tirages augmentent régulièrement. C'est une grande satisfaction d'ordre
professionnel et émotionnel. Savoir que l'on plaît davantage, que le public
nous suit. Très important, ça !
DE MICHEL VAILLANT A ALAIN CHEVALLIER
Mais avant qu'un public de plus en plus nombreux suive les aventures des
Casseurs ou de Chevallier, il y a les débuts.
J'ai commencé en 1962, en allant proposer mes dessins (surtout des voitures,
déjà !) chez Publi-Art, une agence de pub qui fait partie de la même maison
que le journal Tintin. La personne qui devait me recevoir n'étant pas au
rendez-vous, c'est le rédacchef de l'époque de Tintin qui m'a reçu. Il a
regardé mes dessins, a estimé qu'ils pouvaient intéresser l'un de ses
dessinateurs et... le lendemain, j'ai reçu un coup de téléphone de Jean
Graton avec qui j'ai travaillé pendant huit ans sur la série des Michel
Vaillant. Parallèlement, en '66, après avoir rencontré Tibet et Duchâteau,
j'ai commencé à faire les couleurs et les décors de Ric Hochet. J'ai arrêté
avec Graton en 1970 et avec Tibet vers 1974. Un Tibet qui m'a vraiment bien
appris mon métier: il me corrigeait, me mettait le nez dans mes erreurs; un
très bon maître, à ce niveau-là. Parallèlement encore, j'avais déjà
créé en 1969, avec André-Paul Duchâteau, le personnage de Yalek pour le
Soir. C'est aussi à la demande du Soir qu'on a créé Alain Chevallier en 1970.
Quant à Tintin, j'y suis entré en '75 avec les Casseurs et en '76 avec Alain
Chevallier.
A noter qu'il existe un team Alain Chevallier dont le pilote n'est autre que
Michel De Deyne.
COLLABORATION ET DOCUMENTATION
Christian Denayer ne travaille pas seul sur ses albums. André-Paul Duchâteau
mijote les scénarios, le Brabançon Yvon Fernandez (celui-là même qui fait
des courses de 2 CV), collabore au dessin. Car, avant tout, une B. D. est un
travail d'étroite collaboration.
On travaille d'abord au niveau du scénario. Avec Duchâteau, on détermine un
thème qui doit accrocher l'autre. En fonction de notre envie et du mûrissement
d'un thème, André-Paul Duchâteau écrit une trame générale. On en rediscute
et, une fois que le thème général est bien défini, il commence le
découpage. Je reçois son texte et je l'adapte en dessin. Je fais un brouillon
de mise en pages et puis, directement, sur une planche. C'est là qu'Yvon
Fernandez intervient. Un garçon qui a beaucoup de mérite: il a une formation
d'ingénieur et il m'a apporté une rigueur que je n'avais pas avant. Quand il
dessine une voiture, par exemple, ce n'est pas au boulon près, c'est au pas de
vis près. Ça devient de la folie parce que l'on met plus de temps
qu'auparavant. Mais c'est très enrichissant. Un véritable échange, lui
m'apportant une nouvelle rigueur, moi lui apprenant le métier.
Enrichissants sont les échanges; enrichissantes aussi sont les recherches de
documentation. Car Christian Denayer tient absolument à être documenté au
maximum, histoire d'éviter les anachronismes et les erreurs. Une documentation
très riche en ce qui concerne les U.S.A. notamment.
C'est un vieux rêve. Depuis que je suis tout gamin, j'ai eu envie de visiter
les Etats-Unis. J'avais vu au cinéma une certaine Amérique, un certain
american way of life. Ensoleillé. Clean. A la première occasion, je suis allé
voir sur place. J'ai fait plusieurs périples aux States et j'ai découvert par
moi-même les villes et les grands espaces.
Ce qui lui permet de posséder une «diathèque» particulièrement
impressionnante, qui aide parfois bien certains de ses confrères et qui,
surtout, montre une réalité américaine parfois bien différente des vues de
cartes postales ou de dépliants touristiques.
«GORD»
Aujourd'hui, alors que le dixième album d'Alain Chevallier paraît aux Editions
du Lombard (Pole Position) et que les Casseurs suivent la trace du Convoi maudit
dans les pages de Tintin, Christian Denayer travaille à une nouvelle série :
Gord!
Gord est aux antipodes de ce que je faisais jusqu'à présent. Cela se passe sur
notre bonne vieille terre. Bonne ? Pas tellement, finalement, puisqu'elle est
hyperpolluée et que les climats ont été complètement bouleversés... Ce qui
laisse d'énormes possibilités au niveau du scénario. La première histoire -
on en reparlera en temps utile - se déroule en Brabant wallon ! C'est ainsi
qu'use énorme faille se trouve en face du Lion de Waterloo; que la gare de
Rixensart, véritable ruine, est envahie par une végétation luxuriante; que le
restoroute de Bierges est complètement dévasté... Pareilles catastrophes à
Bruxelles, où la basilique de Koekelberg, par exemple, est transformée en
usine !
Mais, avant de vous précipiter sur les premières aventures, aventures très
humaines, de Gord, avez-vous déjà savouré les quarante-huit pages couleurs de
Pole Position ? Si non, un conseil: dépêchez-vous ! Les dessins et le
scénario en valent vraiment la peine.
Philippe CHAVANNE dans Vlan (Brabant Wallon) du 7 janvier 1987