Christian Denayer: "ce qui est pseudo-intellectuel ou prétentieux m'emmerde!"

Pendant 20 ans, Christian Denayer a cassé des bagnoles dans "Al & Brock". Aujourd'hui, il s'est mis en tête de briser les coeurs des ados avec sa nouvelle série "Génération Collège" (Le Lombard).

Avec "Génération Collège" vous changez de registre. Pourquoi?

C'est ma fille qui m'a incité à créer cette série en me racontant les histoires qu'elle vivait. Elle avait 17 ans à l'époque et rencontrait ses premières difficultés. je me suis rendu compte que moi aussi j'avais eu 18 ans et vécu à peu près les mêmes problèmes et j'ai eu envie de raconter ces histoires.

Vous profitez du créneau lancé par les feuilletons TV pour ados...

Fatalement le sujet m'y plonge, Ce n'était pas une volonté délibérée au départ puisque avant tout j'ai voulu faire plaisir à ma fille en racontant des histoires plus fmiches directement en prise avec les ados que je veux faire rêver par des décors, des ambiances, des situations extraordinaires qui viennent se greffer sur leurs problèmes quotidiens.

Vous vous exposer à la critique avec ce genre de série ?

Ni plus ni moins qu'avec une autre et puis je m'en fous... je fais ce que j'ai envie de faire sans penser à la critique. Ce qui ne veut pas dire que je n'en tiens pas compte. Si elle est constructive, elle m'intéresse. Si elle est purement une entreprise de démolition gratuite et méchante, elle ne m'intéresse pas du tout. Pareil pour le grand encensement sans le "pourquoi", on n'apprend rien. Alors le fait de tomber dans ce créneau, je ne saurais pas dire si c'est le hasard ou volontaire: je pense que c'est dans l'air du temps. Maintenant, qu'on me dise que ça ressemble à "Beverly Hills", ça ne me gêne pas du tout. Je trouve cette série plutôt bien ficelée.

Et la postérité alors ?

En me levant le matin, je ne me dis pas que je veux faire une oeuvre dont on parlera encore dans 150 ans. Tout ce que j'essaie de faire, c'est de réaliser une BD qui me fasse partager un bon moment avec mes lecteurs, sans autre prétention. Si je réussis cela, ce n'est déjà pas si mal.

Quel genre de BD lisez-vous ?

 Je suis très classique dans mes goûts. Ce qui est pseudo-intellectuel ou prétentieux m'emmerde. Mais il y a de la place pour tout le monde. Ce qui m'agace, c'est d'entendre dénigrer le "commercial" pour encenser "l'essai artistique". Comme si certains artistes perdaient leurs qualités en devenant "commerciaux". De plus, il n'est pas interdit de s'intéresser à tous les genres. Cela dépend de notre humeur... et du libraire. C'est celui qui saura faire découvrir l'un ou l'autre en conseillant ses clients. Le libraire, c'est le maillon final le plus important. C'est-y pas de la belle pommade ça, madame ? Et pourtant, c'est vrai.

"Al & Brock" et "Génération Collège" se situent dans le même décor, très américain. C'est pour le plaisir de dessiner des bagnoles ?

Il y a de ça mais c'est surtout parce que je suis un dingue des USA. Carmel a une variété de décors très importante et permet une plus grande diversité d'histoires. Cependant, ces histoires sont universelles. J'essaie de ne pas trop les typer U.S. elles pourraient se passer à Paris, Lille ou Francfort. Je reviens à mon idée de rêve : le ciel bleu, les pins, les parasols... cela fait toujours plus rêver qu'un collège aux murs de béton.

Où en êtes-vous avec "Gord" ?

Franz ayant trop de boulot, il m'a passé le relais. Cela m'enthousiasme et le 4e album devrait paraître à la fin de l'année. Cette série m'emmène dans un univers plus violent, plus dur, qui m'apporte la variété indispensable pour ne pas m'encroûter. Je suis un scénariste débutant sur cette série comme sur "Génération Collège". C'est un chouette défi! Jusque-là je m'impliquais épisodiquement dans certains scénari de Duchâteau pour "Al & Brock" mais il restait maître de l'histoire, dans son développement, son intrigue et ses dialogues. Maintenant je prends le tout à ma charge : c'est passionnant, quoiqu'un peu stressant ! Mais je crois avoir attrapé le virus et j'adore ça. J'aimerais beaucoup faire mes preuves comme scénariste, j'ai envie de raconter tellement de choses...

Vous regrettez d'avoir abordé la BD par le dessin ?

Absolument pas. J'ai toujours eu envie de raconter des histoires, mais je ne me sentais pas mûr. J'ai lu pas mal de bouquins sur la technique du scénario (notamment de Michel Chion ou Francis Vanoye), épluché un tas de scénarii divers et maintenant, j'essaie d'acquérir mon propre style, mon propre univers. Avant je n'étais que le "photographe" et c'est très frustrant. Etre scénariste et dessinateur, c'est le sommet. Je laisse encore à l'imprimeur le soin d'imprimer mes bouquins... et il le fait très bien.

Où en est votre projet avec Jacques Martin ?

Nous avons commencé un travail ensemble sur la marine antique qui ne se poursuivra pas. Entre-temps j'avais commencé "Génération Collège" et cette série m'accapare trop. J'ai été obligé de déclarer forfait avec Jacques Martin. C'était une expérience qui m'intéressait beaucoup et je le regrette. C'est un grand bonhomme qui  a apporté quelque chose de fantastique à la BD, ce côté historique avec la crédibilité qu'on lui connaît. Travailler avec un tel monument est très valorisant.

A propos de documentation, vous regardez les feuilletons TV américains ?

Pas trop. J'ai vu quelques épisodes de "Beverly Hills" ou " 21 Jump Street" mais je ne veux pas en être trop imprégné afin de n'être pas tenté de les recopier en BD. Et si l'on peut trouver un certain parallélisme, c'est le sujet qui veut ça. Je prends mes renseignements à la source, c'est-à-dire auprès de ma fille et de ses copains. Je leur fais lire mes histoires et ils me font leurs critiques.

Vous faites la sortie des écoles, en quelque sorte...

En quelque sorte ...mais je n'ai pas de bonbons dans les poches.

CF & BPY dans La Lettre de Dargaud No 29 de mai 1996

        
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