Interview réalisée chez Cubitus BD le vendredi 29 juin 2001 à l’occasion des 15 ans de la librairie

On ne présente plus Christian Denayer, l'un des plus grands dessinateurs classiques belges. Après des séries aussi mythiques que "Les Casseurs", "Yalek", "Alain Chevallier" (sous le pseudonyme de "Cap") ou encore "Gord", du dessin publicitaire, etc. Denayer se lance dans l'aventure d'un one-shot en deux volumes : "Wayne Shelton", scénarisé par Jean Van Hamme (voir critique de la première quinzaine de Juillet). Passé maître dans l'art de dessiner avec précision et doigté les voitures, camions et autres accidents, nous avons réussi à le voir, à lui parler, même à l'interviewer, lors d'une halte aux 15 ans de la librairie Cubitus BD (ben alors, bon anniversaire Cubitus !). Son talent n'a d'égal que sa gentillesse et sa simplicité, voici donc, pour vous, et en exclusivité, nos questions-réponses.

 

BrusselsBdTour : En 1962, donc au début de votre carrière, vous devenez le collaborateur de Jean Graton pour Michel Vaillant. Est-ce depuis cette époque que vous entretenez une passion pour le dessin des voitures ?


Christian Denayer :
Absolument pas, c'est bien plus ancien que cela. Je suis devenu assistant de Graton parce que j'étais passionné par le dessin des voitures. Aussi loin que je m'en souvienne, déjà vers 4 ou 5 ans, je dessinais des voitures (bon elles ne ressemblaient pas à grand chose mais ...). Vers 10 ans, mon père m'a emmené au salon de l'auto, et je suis resté émerveillé par les couleurs des voitures américaines. Chez nous, les voitures étaient noires ou grises, aux États-Unis, elles étaient vertes, roses, ... tout cela m'a donné envie de dessiner tout ce qui roule. J'avais 14 ans quand j'ai créé la marque "Fulgura", pour laquelle j'avais créé un catalogue, que j'ai réutilisé bien plus tard, pour "Alain Chevallier".

BrusselsBdTour : Au Studio Graton, vous rencontrez également un autre dessinateur, Glem, alias Gérard Lemaire (notre dessinateur fétiche), quel souvenir avez-vous de lui ?


Christian Denayer : Très peu à cette époque parce qu'il est arrivé juste quand je partais pour travailler avec Tibet, on s'est juste croisé. J'ai continué à venir épisodiquement puisque je travaillais pour Tibet et pour moi, puisque je venais de commencer "Yalek". Par contre, plus tard, vers 1973, j'ai retrouvé Gérard et sa femme puisque c'est lui qui s'est occupé de faire les couleurs du premier "Alain Chevallier", signé "Cap".

BrusselsBdTour : Après des séries où les automobiles sont omniprésentes comme "Alain Chevalier" ou "Les Casseurs", pourquoi vous orienter vers la SF avec "Gord", les ados avec "Génération Collège" ou encore la publicité ?


Christian Denayer : Simplement parce que j'adore changer. Je n'ai pas la moindre envie de travailler sur la même série pendant 30 ans, je serais incapable de faire une série qui aurait 40 ou 50 albums, je préférerais aller vendre des frites (rires ...). J'ai eu l'occasion de rencontrer Franz, que je connaissais déjà depuis longtemps et qui m'a parlé du scénario de "Gord", j'ai lu, et directement, j'ai adoré alors, on a commencé comme çà ... Pour "Génération Collège", je me suis inspiré de la vie de ma fille Christelle et de ses copains, on a beaucoup discuté, les rapports entre profs et étudiants m'intéressent beaucoup ...

BrusselsBdTour : "Les Casseurs", série mythique qui a bercé l'enfance de pas mal de gens de ma génération s'arrête en 1992 après le numéro 21 ... pourquoi ?


Christian Denayer :
A cette époque, André-Paul Duchâteau, le scénariste, est tombé gravement malade et n'a pas pu continuer. Moi, j'ai dû continuer à travailler et je n'ai pas souhaité continuer la série sans lui ... c'est à cette époque que j'ai créé "Génération Collège". Heureusement, André-Paul va mieux mais il a eu d'autres projets, moi aussi ...

BrusselsBdTour : Vous ne dessinerez jamais plus "Al et Brock" ?


Christian Denayer :
Je ne sais pas, j'aimerais bien y revenir mais c'est peut-être une utopie. Maintenant, je travaille sur "Wayne Shelton", je suis enchanté de la collaboration avec Jean Van Hamme avec qui j'aime beaucoup travailler. C'est un personnage qu'il faut absolument connaître. Il est très humain et très exigeant à la fois. Je suis très content de travailler avec lui. Travailler avec Van Hamme est d'une totale sécurité. Mais je ne dis pas non au retour des "Casseurs"

BrusselsBdTour : Pourquoi vous lancer dans un one-shot (bien qu'en deux parties) avec "Wayne Shelton", vous qui êtes habitué à travailler sur des séries relativement longues ?


Christian Denayer :
Toujours cette même envie de changement, en plus, ce n'est plus un secret, enfin du moins, plus maintenant (rires ...), j'aimerais bien que "Wayne Shelton" ne s'arrête pas après le deuxième tome, j'aimerais bien en faire une série ... mais çà dépend de l'emploi du temps de Van Hamme. Si il ouvre la porte, on y va, c'est lui qui a la clé. J'espère juste qu'entre ses autres séries et ses adaptations pour la télé et le cinéma, il aura le temps de le faire.

BrusselsBdTour : A part le tome 2 de "Wayne Shelton", d'autres projets ?


Christian Denayer :
Non, pas vraiment, mis à part des dessins publicitaires, et un projet avec un autre scénariste qui ne s'est pas fait pour cause de "Van Hamme". J'ai écrit un scénario pour ce que je voulais être une série de politique-fiction mais pour le moment, j'ai assez de boulot.

BrusselsBdTour : Que pensez-vous de la BD sur le web, est-ce complémentaire à votre avis ?


Christian Denayer :
C'est une vitrine extraordinaire. J'ai la chance d'avoir un site web (http://www.bdeuro.com/denayer) où je peux montrer à ceux que çà intéresse ce que je ne pourrais montrer à personne. Alors j'ouvre mes armoires, mes cartons et je mets mes dessins à disposition pour ceux qui ont envie de voir des choses qu'on a pas l'habitude de voir ... pour cela, le web est un outil fabuleux.

BrusselsBdTour : Comment voyez-vous la BD dans 20 ans ?


Christian Denayer :
Je suppose qu'elle va évoluer, peut-être même un prolongement sur le web, plus interactif, où l'internaute pourra jouer avec la BD mais il y aura toujours une version papier. Je me vois mal aller aux toilettes avec un portable (rires ...).

Propos recueillis par Stéphane L.