Habitant Wavre, où sa maison est le berceau de «Alain Chevallier» et des «Casseurs»  

CHRISTIAN DENAYER PRETEND QUE «LE DESSINATEUR EST UN FAINEANT QUI TRAVAILLE...»

M. Denayer, qui habite Wavre, était loin de s'imaginer que sa passion pour le dessin, allait éclipser sa future profession d'enseignant et qu'il entrerait un jour, au journal Tintin.

« Je me suis adressé à une agence de publicité pour monnayer mes dons », explique-t-il. « Il s'agissait de « Publiart», une société sœur du Lombard. En l'absence du directeur, je fus reçu par le rédacteur en chef de Tintin, à l'époque, M. Marcel Dehaye. Intéressé par mes esquisses de voitures, M. Dehaye m'a engagé pour seconder Jean Graton, le père de Michel Vaillant. »

C'est ainsi que Denayer conçoit durant huit ans, les décors et les autos de Michel Vaillant et de Ric Hochet, avec Tibet.

En 1969, il crée « Yalek » avec A.P. Duchâteau. Son scénariste de toujours. En 1970, naîtra celui qui allait le dévoiler au grand public: « Alain Chevallier ».

- Comment est arrivé ce Chevallier ? 

- Tout naturellement de la volonté d'un journal bruxellois d'avoir une B.D. quotidienne avec auto et de ma passion pour l'auto.

- La suite ne sera que pure logique ?

- Oui. Graton quitte Tintin et Chevallier prend la place de Michel Vaillant. Actuellement, dix albums ont été réalisés et le dernier né, « Forcing dans la neige » sortira au mois d'août.

- Chevallier a-t-il pu remplacer Vaillant ?

- Absolument. De toute façon, les options des deux héros sont différentes. Il serait inconcevable de les comparer. Duchâteau et moi avons voulu raconter une histoire la plus humaine possible et pas trop technique, dans le milieu de la compétition automobile ; ce milieu n'étant finalement qu'un prétexte.

- Y êtes-vous parvenu ?

- Oui et je peux même dire que Chevallier est devenu le Lucky Luke moderne. Notre bande dessinée intéresse, en effet, un très large public, et pas seulement des spécialistes du sport mécanique.

- Est-ce pour cette raison que vous avez admis Michel De Deyne un pilote deux fois champion de Belgique de voitures de production aux côtés de Chevallier ?

- Oui. Michel De Deyne court toute la saison sous les couleurs du team Alain Chevallier et Alain Chevallier le considère comme un de ses meilleurs amis. Il était l'élément qui me permettrait d'unir réalité et fiction. Dès lors, Alain Chevallier était beaucoup plus accessible. De plus, Michel De Deyne m'aide à mieux comprendre le milieu de la course, à laquelle je peux donner une dimension humaine.

- Comment avez-vous rencontré Michel De Deyne ?

- Il m'a, un jour de l'an 1975, téléphoné pour que j'imagine la décoration de sa voiture de course. Depuis, nous restons en contact. Il m'est d'une aide précieuse pour rester dans le coup.

- Alain Chevallier va-t-il vivre longtemps ?

- Il vivra tout le temps que nous aurons quelque chose à raconter.

- Parvenez-vous à innover à chaque histoire ?

- Là, réside la difficulté. Dans sa prochaine aventure, par exemple, Alain Chevallier, amorcera un virage plus grand encore. Il va abandonner cet aspect vedette de Formule I. Il partira aux Etats-Unis avec toutes les possibilités qui lui offriront les compétitions là-bas. Des événements précis l'y forceront et le pousseront même à braver la mort !

- Quel rapport y a-t-il entre Chevallier, Yalek et les casseurs ?

- Yalek, c'est l'aventure à l'état brut ; les «Casseurs » et Alain Chevallier sont axés uniquement sur l'auto. Il existe toutefois un antre rapport entre eux deux. Chez l'un, la voiture est déifiée, chez les autres, elle est démolie. Chez les «Casseurs », il y a aussi un humour qu'on ne retrouve pas chez Alain Chevallier. Ceci dit, j'éprouve une grande joie à démolir les véhicules avec les « Casseurs  ».

- Comment réalisez-vous les planches de vos dessins ?

- Au départ, Duchâteau, le scénariste, et moi-même débattons d'un sujet ayant toujours rapport avec la réalité. Il conçoit un synopsis et écrit les dialogues.

- C'est passionnant ? - Assurément. Je fait continuellement des découvertes comme les hologrammes pour « L'attentat en Formule I » avec Chevallier ; l'étude du cheval et de ses mouvements pour « La corrida infernale » avec les « Casseurs ». Il y a encore d'autres exemples...

- Quelles difficultés rencontrez-vous dans votre travail ?

- Les délais de rentrée des dessins. Le dessinateur est un fainéant qui travaille beaucoup. Toutefois, comme il reste essentiellement fainéant, il a du mal à maintenir un rythme de travail. C'est compréhensible. Nous ne sommes pas des machines. Nous sommes des artisans. Nous ne pourrions travailler huit heures par jour, en raison des exigeantes visuelles et physiques que réclament ce travail. Si tel était le cas, on ne ferait pas ce métier longtemps. Les lecteurs ne se rendent pas compte... C'est d'autant plus fatiguant qu'un dessinateur vit son dessin.

- Dessinateur passionné, Denayer s'inscrit dans la génération des grands de la bande dessinée belge ; celle que de nombreux pays nous envient. Vivant ses personnages et ses histoires avec intensité - en esquissant une voiture, nous explique-t-il, à la limite, je la vois rouler - il inculque à ses dessins un saisissant sens du réel et du vécu. Sans doute Denayer n'y serait-il jamais parvenu sans le perfectionnisme qui l'anime et l'étroite collaboration de sa femme Liliane qui colorie les planches et de sa petite fille Christelle « qui donne le rythme au travail », ainsi qu'il le dit.

Propos recueillis par André JACQUES dans Vers l'Avenir du mercredi 11 juillet 1979.