Chistian Denayer

LA B.D. FRANCO-BELGE A SEOUL
AU PAYS DU MATIN CALME

Séoul, la ville des J.O. 1988.
Pour les passagers des lignes aériennes en provenance de Hong-Kong, ce qui frappe avant tout en arrivant au dessus de la ville aux 10 millions d'habitants, c'est son étendue entre de multiples collines, ainsi que la recommandation du commandant de bord de notre avion avant l'atterrissage: « Défense de photographier ou filmer l'aéroport». En effet, curieux aéroport que celui-ci, entouré d'un haut mur et flanqué de miradors çà et là.
Deuxième impression: la propreté et la netteté des lieux, surtout après avoir passé quatre heures dans le grouillant aéroport de Hong-Kong bien trop petit pour son trafic actuel.
Mais de BD telle la BD belgo-française: point.
Aussi, avais-je ce petit quelque chose d'exotique en dédicaçant dans la plus grande librairie de Séoul, le Chong No Book Center. Il était prévu que j'y reste une heure... j'y suis resté coincé trois heures et encore heureux que le directeur de la librairie soit venu littéralement me sortir de ma table à dessin où j'étais assiégé! Mon épouse se demandait d'ailleurs si nous aurions le temps d'attraper notre avion huit jours plus tard... Plusieurs conférences, dont celle de l'Université Weddei, confirmèrent cet engouement pour notre BD. On avait prévu qu'une centaine d'étudiants assisteraient à mon exposé, il en est venu... près de 300. 
Il est 19h et en ce mois d'avril, il fait déjà noir. Le chancelier de l'Ambassade de Belgique est venu nous accueillir, mon épouse et moi-même. 

Heureusement, car je ne suis pas un spécialiste de la langue coréenne et seuls quelques préposés parlent un peu Anglais. Les «laisser-passer» diplomatiques n'ont pas beaucoup d'effet sur les douaniers et policiers si ce n'est pour garer la voiture d'ambassade! De toute façon, nous ne transportions pas d'armes!
Après avoir roulé environ vingt minutes, nous voici enfin en ville. « Une chance que vous soyez arrivés après 19h, la circulation est plus fluide maintenant!». « Ah, bon?» C'est tout ce que je pus dire: nous nous trouvions dans une circulation qui faisait penser aux heures chaudes du périphérique parisien! Dix millions d'habitants dans la capitale d'un pays en plein essor économique, devenu gros producteur automobile en très peu d'années, cela se remarque sur les routes!
L'hôtel Savoy en plein quartier de Myong Dong.
Une nuit d'un repos bien mérité après un voyage de 22 heures. Pourtant ce quartier est l'un des plus animés de la ville. On y remue à toute heure du jour et de la nuit. En dehors des grands boulevards, c'est la Corée en plein, enfin celle que l'on imagine. Tous les petits métiers s'y côtoient. Aiguiseurs de couteaux, cireurs de chaussures, récupérateurs de bric-à-brac, petits marchands de toutes sortes, on y vend même des bananes à la pièce, assez cher, il faut bien le dire. Mais tout le reste est particulièrement bon marché. Et les gigantesques bazars sont une tentation permanente. Dans cette ville ultra-moderne où les grands hôtels voisinent avec des temples anciens, des jardins superbes comme les Asiatiques en ont le secret, la vie grouille continuellement. Des petits quartiers (Dongs), d'anciennes maisons coréennes typiques au toit en pagode continuent d'exister, feignant d'ignorer la modernité tentaculaire. Mais pour combien de temps encore ?

Avril est, paraît-il, un des plus beaux mois pour visiter la Corée.

La tenue vestimentaire est très stricte en Corée.

En effet, le printemps fait renaître tous les arbres, et les fleurs sont autant de taches chatoyantes rehaussant de leur éclat la délicatesse des coloris des temples et autres monuments. Les azalées géantes, les forsythias, les pommiers et cerisiers en fleurs ponctuent, dans un rythme bien ordonné, les coloris pastels des murs des anciennes maisons. Kyong Bok, vaste jardin flanqué de quelques palais superbes, est un enchantement pour nos yeux européens. On y plonge des centaines, voire des milliers d'années en arrière. On peut d'ailleurs se rendre compte de la présence toujours très forte de la tradition dans la vie coréenne. Nous avons assisté à un mariage traditionnel et nous fûmes bien étonnés de retrouver les mêmes costumes colorés et chatoyants dans les vitrines des musées. Les couleurs, toutes les couleurs sont d'ailleurs un des éléments frappants dans la ville. Les nombreuses banderoles publicitaires dans l'alphabet coréen très graphique, les toits en pagode aux multiples teintes, jusqu'aux vêtements très colorés des coréennes. Bien que vêtus à l'occidentale, les Coréens n'en aiment pas moins les tons voyants. Ce qui donne à la foule un petit air de caléidoscope en mouvement perpétuel.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur l'accueil très sympathique, la nourriture excellente mais relativement peu variée, sur les tables basses autour desquelles on s'assied en tailleur après s'être déchaussé. Tous ces souvenirs sont des moments privilégiés pour un Occidental ayant la chance d'être reçu à la coréenne.

Et la BD dans tout cela, me direz-vous?

Ben, oui, pour moi, c'est moins surprenant que tout ce qui précède. Cependant, je crois pouvoir dire que cette fois, la surprise était pour les Coréens. Bien évidemment, ils connaissent la BD. Mais de la BD, genre «fast-food», style japonais et très vite faite. Ce qui ne l'empêche pas de se vendre à des centaines de milliers d'exemplaires chaque semaine dans de gros fascicules en noir et blanc.

Vous imaginez mon trac, moi qui travaille seul chez moi, en compagnie de mon épouse coloriste...
Engouement encore confirmé par des interviews à la KBS, la l ère chaîne de radio, et par la TV MBC, la plus regardée. Ceci m'a particulièrement étonné car, aux dires des professionnels BD que j'ai rencontrés, ils n'ont quasiment jamais de contacts avec la TV ou la radio. Je ne sais s'ils m'en ont gardé quelque rigueur ou si j'ai pu, bien malgré moi, leur débloquer des portes jusque là fermées?
Apparemment, ils ne m'en ont absolument pas voulu, puisqu'un éditeur coréen m'a proposé d'éditer chez lui les 15 albums des « Casseurs». Suprême confirmation de l'intérêt pour la BD belgo-française que j'ai rencontré là-bas: l'Ambassadeur de Belgique nous a fait l'honneur de nous inviter à sa table. A la fois impressionnant et chaleureux. Cependant devant l'accueil protocolaire mais « bon enfant» de l'Ambassadeur et de son épouse, notre trac s'est vite estompé. Il faut dire que M. l'Ambassadeur Noirefalisse est un véritable amateur de BD ainsi que son 1er secrétaire, Mr Renard, qui nous a si efficacement pris en charge.
Notre guide sur place et organisateur de la manifestation: un jeune coopérant français du Centre Culturel Français à Séoul avait minuté tous nos rendez-vous et je n'ai rencontré pareille conscience professionnelle qu'au Québec lors d'une tournée de promotion avec mon ami Dupa.

Bien évidemment surpris lorsqu'on m'a proposé cette série de conférences en
Corée, ma femme et moi en sommes revenus fourbus mais enchantés. Et si la BD belgo-française y fait la percée que j'espère... on y retournera... au Pays du Matin Calme!

Remerciements: à Mme Van Moer du C.G.R.I., de Bruxelles, à MM. les Ambassadeurs de Belgique et de France en Corée, à Mr Renard, 1 er Secr. ; à Mme Vande Ginste, Chancelier, à Mr. Laurent Dreyfus du Centre Culturel Français et à toutes ces personnes les plus sympathiques les unes que les autres qui ont permis de réussir ce voyage.

Christian Denayer dans Tintin No 30 du 19 juillet 1988. Photo: Liliane Denayer


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